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La journée de l’Agenda 21 de Mérignac FORUM DU 6 NOVEMBRE 2004

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L’intervention d’Albert Jacquard

Si j’ai bien compris, mon rôle est de situer tous les projets concernant Mérignac, à l’intérieur d’une vision plus globale, c’est à dire finalement planétaire.
J’aimerai donc insister sur le fait que le 20ème siècle qui vient de se terminer. Le 21ème siècle commence et c’est pourquoi on nous dit d’introduire un Agenda.

Le 21ème siècle a été un siècle de révolutions fondamentales. Révolutions non parce que l’on coupe des têtes mais dans le sens où l’on reconstruit les concepts qui permettent de regarder autour de nous. Tout a été changé au cours du 20ème siècle dans les conditions de vie des hommes et par conséquent il faut commencer à essayer d’en tirer les conséquences.

Tout a été changé par exemple, çà c’est bien connu dans l’effectif des hommes.

Nous sommes une espèce particulièrement fragile, j’y reviendrai, si bien que depuis un million d’années, deux millions selon la façon de compter nous avons été très peu nombreux sur la terre.

Le premier million d’hommes a été atteint il y a 50.000 ans et puis avec l’invention de l’agriculture il y a 10.000 ans, quelque part en Mésopotamie on a augmenté les ressources et du coup nous avons pu être 10 millions 20 millions.
Et du temps de Jésus Christ nous étions 250 millions d’hommes, c’est un chiffre à garder en mémoire.

Il y a 2 000 ans nous étions 250 millions. Il y a 1 000 ans nous étions encore 250 millions, ce n’est que très récemment, depuis la renaissance qu’on a commencé à sauver les enfants, les empêcher de mourir et il y a eu au cours du 20ème siècle un événement qui ne s’était jamais produit : ce que l’on a appelé l’explosion démographique.
Au cours des années 1970, cela a duré une trentaine d’années, le taux d’augmentation de la population du monde était de l’ordre du doublement tous les 35 ans, quand on double tous les 35 ans, cela veut dire que l’on multiplie par 4 en 70 ans, par 8 en un siècle et demi. Cela ne pouvait pas durer.

Pour l’instant, c’est en train de s’assagir, les démographes sont rassurés, l’explosion démographique est jugulée grâce aux efforts que vous connaissez de population comme les chinois ou les indiens et du coup on est à peu près tranquille. Nous allons être 9 milliards. Nous sommes 6 milliards et quelques et nous serons 9 milliards au milieu du siècle et très probablement cela va s’arrêter là. Par conséquent le problème global qui est posé et qu’il s’agit de préparer une terre pour 9 milliards d’hommes.

La question que l’on est en droit de se poser, est-ce que l’on peut les nourrir ? La réponse est oui, cela ne pose aucun problème. S’il y a actuellement des enfants qui crèvent de faim, c’est scandaleux, çà n’est pas parce que la nourriture manque, c’est parce qu’elle n’est pas au bon endroit. Il y a des endroits où il y a bien plus qu’il n’en faut, par exemple chez nous, et d’autres endroits ou les enfants meurent de faim, mais c’est une question de politique, et pas de production. Si tout le monde accède à la nourriture, on restera environ 9 milliards.

Une magnifique étude a été produite sous l’égide de Madame Brundtland, directrice de l’organisation mondiale de la santé.
Pour répondre à la question : combien la terre peut-elle nourrir d’hommes ? Les experts les plus pessimistes disent 15 milliards, les plus optimistes disent 30 milliards. Par conséquent, du côté de la nourriture on a de quoi nourrir tout le monde. Mais la vraie question c’est : la terre peut-elle supporter 9 milliards d’hommes ? Tout dépend de quelle sorte d’hommes.
Si ce sont des paysans du Bangladesh ou des paysans comme ceux d’autrefois il n’y a pas de problème. Mais il y a aussi sur cette terre des individus comme moi ; comme vous qui demandez à la terre du pétrole, de l’énergie, des bois précieux, et surtout des poubelles pour mettre tous leurs déchets.
Et bien, 9 milliards d’individus comme Albert Jacquard, la terre dit « ouf j’en peux plus ».
Combien peut-elle en supporter des comme moi ou des comme vous ?
Elle peut en supporter probablement guère plus qu’un milliard. Voilà le problème bien posé, nous sommes 6 milliards nous allons être 9 milliards. La terre peut en supporter 1 milliard des comme moi comment fait-on ?
Deux solutions évidentes :
La solution du tout pour moi, çà se dit pas, çà fait mauvais effet, mais c’est la solution que nous avons tous collectivement accepté.
Je maintiens mon pré carré, je maintiens mon confort. Je veux pouvoir continuer à gâcher etc., tant pis pour les autres, c’est une solution. Elle ne durera pas longtemps. Car figurez-vous que les autres sont au courant de ce qui nous arrive à nous, par conséquent il y a de quoi être jaloux. Pensez à ces familles quelque part en Inde ou ailleurs qui crèvent de faim et qui voient avec leur télé, car ils ont une télé, les gâchis de notre société occidentale.
Par conséquent, çà ne pourra pas durer.

L’autre solution c’est de partager, partager non pas par compassion, par gentillesse, parce qu’on est des braves gens, mais partager par raison. Arrangeons nous pour vivre avec 9 milliards avec ce que la terre peut nous donner.
Il y a deux catégories.

Qu’est-ce qu’elle peut renouveler tous les ans. Alors il y a des moissons que l’on peut renouveler tous les ans et puis il y a ce que la terre nous donne une fois pour toute et qu’elle ne donnera pas deux fois.

Par exemple c’est bien connu, on commence à y penser, le pétrole. Le pétrole c’est une richesse proposée par la terre aux hommes.
Comment faire du pétrole c’est très facile. Pour fabriquer du pétrole, vous prenez des milliards et des milliards de bactéries. Vous les pressez entre deux petites roches et vous attendez 200 millions d’années. Au bout de 200 millions d’années ça donne du pétrole, c’est facile. C’est facile, mais il faut être un peu patient. C’est ce qui s’est passé. De toute façon voilà un cadeau que nous fait la terre, on le découvre et voilà qu’on se met à le brûler à un rythme terrible. Si bien que dans un siècle, deux siècles maximum il n’y en aura plus. Autrement dit il y a comme une erreur quelque part.
Là où la terre fait quelque chose avec un rythme d’une centaine de millions d’années, nous nous le détruisons au rythme de quelques centaines d’années. Par conséquent il nous faut repenser complètement l’usage que nous faisons des richesses que la terre nous donne et qui sont non renouvelables. Et là il faut introduire un concept qui a été proposé par l’UNESCO juste après la guerre. Le concept de bien commun de l’humanité.
Vous savez que des cathédrales, des châteaux, … Venise sont des richesses faites par les hommes et qui appartiennent à tous les hommes. Si par hasard le maire d’Amiens voulait détruire la cathédrale pour faire passer leur autoroute, et bien il n’aurait pas le droit. Même si le gouvernement français lui donnait l’autorisation, l’UNESCO lui dirait non.

Bruit de portable sans propriétaire
« On ne peut pas arrêter le progrès »
Cela fait partie des innovations que nous n’avons pas su dominer

Toujours est-il qu’il faudrait introduire le concept de bien commun de l’humanité non seulement pour tous les châteaux que nous avons construits, les châteaux, les cathédrales et les temples mais aussi pour ce que la terre nous donne et qu’elle ne renouvelle pas.

Imaginez qu’on prenne la décision, nous les 6 milliards que nous sommes par exemple que le pétrole est un bien commun de l’humanité car au fond à qui est-ce que la terre le donne, elle ne le donne pas à l’émir du Koweit, elle ne le donne pas à Monsieur le Président de Total, elle le donne à tout le monde, et pas seulement aux 6 milliards d’hommes d’aujourd’hui mais aux 9 milliards d’hommes de demain et à tous les hommes d’après demain. Et par conséquent on n’a pas le droit d’y toucher. Et voilà une évidence c’est que la terre doit être considérée en permanence comme bien commun de l’humanité. On n’a pas le droit d’y toucher.
Par conséquent tous les raisonnements que l’on donne sur le prix du pétrole sont d’une absurdité monstrueuse.

Songez à ce prix du pétrole. On vit dans un monde qui est libéral, où il y a la loi du marché et cette loi faisait que le pétrole coûtait 2 ou 3 $ le baril avant le 1er choc pétrolier il y a 30 ans. Aujourd’hui cela monte à 50 $ cela redescend à 20 $ dont totalement déraisonnable. Absurde …. Personne ne pourrait prétendre que les 50 $ aujourd’hui représente un optimum collectif quelconque. Cela ne représente rien qu’une mesure de notre folie gâcheuse. Et par conséquent il faut se rendre compte que notre terre est finalement petite. Çà c’est une phrase clé.

Il est bon de se raccrocher à quelques phrases qui ont été dites non pas par des scientifiques mais par des poètes. La phrase que je vous propose c’est la phrase que Paul Valéry disait en 1945 « le temps du monde fini commence, fini non pas dans le temps mais dans l’espace ». La terre est petite, elle est toute petite. On l’a toujours crue grande et voilà qu’elle est toute petite.

Et bien il va falloir inventer une façon de vivre ensemble en partant de cette idée que la terre est toute petite, c’est nouveau. Et puis sur cette terre toute petite. Nous avons au cours du 20ème siècle accompli une autre révolution : la révolution de nos pouvoirs.

Augmenter nos pouvoirs d’actions ça a toujours été l’objectif des hommes. Alors on invente le labourage, des esclaves comme les animaux, on invente des moyens pour faire la guerre, des arcs, des flèches, des arquebuses, et à chaque fois on fait des progrès.

Ça devient de plus en plus merveilleux, et puis il se trouve qu’au cours du 20ème siècle par exemple dans l’art de se détruire en se faisant la guerre, on a fait un progrès fabuleux. Songez qu’au début du 20ème siècle, en 14-18 quand on se faisait la guerre avec des canons et des obus, il fallait envoyer paraît-il 60 obus pour tuer un soldat. A Verdun, d’après les statistiques, on a tué pas mal de monde 300 mille de chaque côté mais on a envoyé 60 fois plus d’obus. Cela revient cher, or vous savez maintenant que les progrès ont été tels que l’on peut tuer un million de personnes avec une seule bombe. Evident du point de vue technique c’était une réussite fabuleuse, et en plus c’est beau à voir ce champignon. Mais à un certain moment on se dit, n’a-t-on pas dépassé quelque chose de raisonnable. Effectivement à cause de ces progrès techniques, on est tombé dans un changement complet de la problématique de la destruction de l’autre.

Cela doit être une tentation de faire la guerre contre des affreux qui ne veulent pas vous écouter, comme en Irak. On a la tentation de dire « une bonne bombe atomique, cela résoudrait le problème ». Et bien non on ne le fait pas, et ce n’est pas par bonté d’âme. C’est parce que on sait que la fameuse bombe atomique, elle a une telle puissance qu’elle dépasse ce que la terre peut supporter. Un vrai conflit atomique utilisant 5 à 6 % des stocks disponibles entraînerait la destruction de l’humanité. On ne peut quand même pas jouer ce jeu là. Il se trouve des possibilités nouvelles que vous donne votre intelligence, et bien ces possibilités sont telles qu’on ne peut plus les utiliser. Et voilà une autre phrase dite cette fois par Einstein, le soir d’Hiroshima. « Il y a des choses qu’il vaudrait mieux ne pas faire ».

Et voilà une condition complètement nouvelle. Jusque là on avait cru, les philosophes comme Francis Bacon qui disait « le but de la science, le but de la technique c’est de réaliser tout ce qui est possible » Allons-y gaiement. Mais non, tout d’un coup on se dit qu’il y a des choses que l’on peut faire, c’est merveilleux de les mettre au point et pourtant il faudra ne pas les utiliser.

Et voilà un nouveau problème se pose aux hommes. Comment mettre en place une morale qui tienne compte de nos possibilités d’action. On a des choses que l’on peut faire et qu’on ne fera pas, au nom de quoi, cela peut être au nom d’une réponse que Dieu nous a donnée.

C’est ce qui se passait autrefois. On envoyait Moïse en haut de Sinaï, il revenait en disant : ceci est permis, ceci est défendu.

Tout va bien. Mais maintenant il se trouve qu’une majorité d’hommes pense que ce n’est pas à Dieu de répondre, cela ne le regarde pas, c’est même à mon avis un blasphème que demander à Dieu si oui ou non on doit faire ceci. Qu’en fait ce n’est pas à Dieu de décider c’est à nous, c’est à nous, à nous. Lesquels ? Les puissants pas seulement, nous tous. Par conséquent voilà de ce point de vue une nouvelle difficulté pour les mettre en place une démocratie de l’éthique pour savoir si oui non, on est d’accord pour faire ou ne pas faire… du côté de la bombe atomique. Je crois que pratiquement tous les hommes sont d’accord. On va revenir en arrière. On va détruire toutes ces saloperies de bombes atomiques et puis on aura éliminé un suicide collectif possible.

Mais il y a d’autres problèmes où nos progrès techniques ont été tels qu’ils nous posent des problèmes moraux. Et dans deux domaines où chaque fois que l’on inventait quelque chose on était content, c’est le domaine de la biologie, de la médecine. Chaque fois que l’on a mis au point de nouveaux médicaments, la pénicilline et tout le reste, c’était à chaque fois splendide, on sauve des vies humaines, on sauve des enfants c’est merveilleux. Mais voilà que depuis peu de temps on a découvert encore comment résister à la vie et du coup on est en face de problèmes inattendus auxquels on ne sait pas répondre et c’est pourquoi la plupart des pays ont mis en place des comités d’éthique et j’ai fait partie du comité français. On était là une trentaine autour d’une table avec des gens comme le professeur Jean Bernard, avec Léon Schwartzenberg. Le gouvernement nous posait des questions : qu’est-ce qu’on fait ?

Je me souviens d’un petit élément qui m’a beaucoup marqué. Un jour Monsieur Jean Bernard Président nous pose la question du ministre de la santé, si oui ou non on permet de faire telle expérience. Il se trouve qu’il me donne d’abord la parole, j’ai développé ma logique et conclu qu’il fallait refuser cette expérience. Le représentant de la pensée marxiste, un philosophe remarquable, a commencé son exposé par une citation de Karl Marx, et a abouti à la même conclusion. La 3ème était une théologienne protestante, merveilleuse et qui a commencé par une citation de Jésus dans Matthieu, elle a aboutit à la même conclusion que nous. Autrement dit nous partions tous les trois de points de départ différents donc ouverture, car on était honnête, chacun avec sa propre mission.

Et bien il faudrait généraliser cela, mais il ne faut pas que ce soit une trentaine de braves gens qui décident de la morale du peuple français. Cette morale doit être décidée par les français eux-mêmes et puis les européens, et les méditerranéens etc.… et nous voici devant quelque chose de nouveau, des pouvoirs tels qu’ils nous font peur. Mais heureusement, heureusement il y a aussi un côté de la révolution de l’effectif et de la révolution des pouvoirs une révolution dont on ne parle pas c’est la révolution des concepts, le regard que nous portons sur le monde a été complètement transformé par les progrès du 20ème siècle et en l’espace de 50 ans de 1905 à 1953.

Il y a une débauche de théories nouvelles, de regards nouveaux portés sur le monde qui font qu’on ne peut plus penser comme avant. Par exemple, je vous recommande la lecture du dernier livre de Georges Charpak qui a eu le prix Nobel. Il faut avoir compris l’essentiel des concepts scientifiques si on veut véritablement être un citoyen.

En 1905, Einstein propose la relativité restreinte. Cette relativité revient à dire qu’il y a autant de temps qui se déroule qu’il y a d’individus séparés. Et par conséquent, la durée d’un même événement n’est pas la même selon qu’on bouge ou qu’on ne bouge pas. J’y pensais se matin en venant en train à Bordeaux. J’aurais deux façons de mesurer mon parcours de Paris Montparnasse à Bordeaux Saint Jean.

Je pouvais regarder ma montre au départ et à l’arrivée et je trouvais 3 heures zéro zéro, mais je pouvais aussi regarder l’heure à Paris Montparnasse et l’heure à Bordeaux Saint Jean et faire la différence et bien je n’aurai pas trouvé 3 heures zéro zéro, j’ai fait le calcul dans le train, la 18ème décimale aurait été différente. La 18ème décimale vous me direz on s’en fout,… (rires) mais du point de vue conceptuel d’accord Monsieur la vraie durée de votre parcours est-ce que c’est 3 heures ou bien est-ce qu’il y a à là 18ème décimale un 1 ou 2, c’est quand même important du point de vue de la réalité du monde qui nous entoure. Et bien réponse d’Einstein il n’y a pas de durée absolue, il n’y a que des durées partielles, vos deux durées sont aussi bonnes l’une que l’autre. Alors il y en a une que l’on appelle le temps propre, mais il y a aura autant de durée que l’on veut.

Et puis c’est encore pire avec la gravité générale qui nous explique mieux que ne le faisait Newton, la façon dont les planètes tournent autour des étoiles.

Dès que l’on approche d’une masse voilà que le temps se ralentit. Si vous voulez ne pas vieillir trop vite vous allez près du soleil, vous vieillirez moins vite que loin du soleil. Si vous allez près d’un trou noir alors là c’est formidable, même les évènements qui durent un temps infini vus de loin, durent un temps court, vus de près,… près d’un trou noir.
Par conséquent, tout est chamboulé dans notre vision du temps.

Et puis il y a eu dans les années 20 la découverte de l’expansion de l’univers.
On regarde les galaxies, plus elles sont loin plus elles s’éloignent. Alors on fait le raisonnement tout simple, si on les avait regardées il y a 1 000 ans, on les aurait mieux vues puisqu’elles étaient plus proches (rires).
Il y a un million d’années on les aurait mieux vues, un milliard d’années encore mieux et il y a 15 milliards d’années, elles auraient été toutes au même endroit. Il suffit de faire l’hypothèse que ce mouvement dure depuis toujours, c’est déjà beaucoup, depuis longtemps, en tous cas.

Donc il y a 15 milliards d’années il y a eu le big bang mais qu’y avait-il il y a 16 milliards d’années ? Mais vous êtes tentés de répondre il n’y avait rien et c’est faux.

C’est faux non pas à cause de rien, car effectivement il n’y avait rien parce que par hypothèse il y a 15 milliards d’années que tout est apparu sous forme de protons de neutrons, etc.… donc rien c’est vrai. Mais il y avait. Or quand vous dites il y a 16 milliards d’années il n’y avait rien, vous faites l’hypothèse que 16 milliards d’années avant vous, il y a eu un « inaudible » a exister. Or pour qu’un « inaudible » existe, il faut que le temps se déroule, pour que le temps se déroule, il faut que des évènements se succèdent, pour que des évènements se succèdent il faut des choses pour faire ces éléments. Par conséquent, comme il n’y avait rien, il n’y avait pas de temps, il n’y avait pas de « inaudible » il y avait « inaudible » (Rires).

Je ne suis pas le premier à le dire quelqu’un de très remarquable l’a dit c’est Stephan Hawkins que vous voyez dans sa petite voiture, un astrophysicien anglais, qui dit « Le Big Bang n’est pas un événement comme un autre puisque c’est un événement qui a un après, nous sommes dans l’après Big Bang, mais qui ne peut pas avoir d’avant par définition, et par conséquent le Big Bang n’est pas un événement comme un autre et par conséquent çà n’est pas une création et par conséquent aussi s’il n’y a pas eu de création pourquoi parlez-vous du créateur » ?

Et là je n’insisterai pas mais je suis allé voir des théologiens que je connais, des gens merveilleux, intelligents, j’espérai les mettre un peu en colère, parce que le créateur, fait partie du domaine où ils sont à l’aise. Pensez-vous ils étaient très contents, en disant qu’est-ce que ce rôle de créateur que l’on donne à Dieu, on le prend pour un petit bricoleur qui s’embête dans le néant, et bien non Dieu vaut mieux que çà et par conséquent si vous me dites en tant que scientifique il n’est pas créateur, je suis tout content, en tant que théologien, en tous cas - certains théologiens – il n’existe pas, je suis content.

Je voudrai simplement montrer que la mise en cause d’un concept aussi extraordinaire que le Big Bang, que l’expansion de l’univers a des conséquences théologiques, et par conséquent a aussi des conséquences sociales, politiques, on ne peut pas faire de politique sans avoir compris par exemple ce que c’est que le Big Bang et l’absence d’avant du temps.
(Rires).

Je sais que je parle devant des hommes politiques mais justement j’ose
Alors du coup tout semble plus simple. Nous avons une certaine mission de l’humanité qui est une mission, qui est, quelque soit notre culture, a été forgée par la bible et la bible nous a appris sans toujours le dire mais elle l’a admis comme une certaine évidence, que nous les hommes, nous sommes contemporains de l’univers.

Dans la bible vous savez le 1er jour Dieu crée ceci ou cela et puis le 6ème jour c’est l’homme, donc à huit jours près nous les hommes nous avons l’âge de l’univers, et un beau jour il y aura la fin du monde et ce sera le jugement dernier. Par conséquent il est admis que les hommes disparaîtront en même temps que l’univers.

Or actuellement avec la théorie du Big Bang, l’univers est arrivé il y a 15 milliards d’années et nous les hommes ne sommes là que depuis quelques millions d’années. Million c’est tout petit par rapport au milliard et par conséquent nous ne sommes plus contemporains de l’univers. Nous vivons dans un monde très différent que celui qu’imaginaient les théologiens, les politiques, tous les philosophes d’autrefois, et par conséquent il faut tout repenser. Le temps est à repenser.

Il y a un autre concept qui vient d’être complètement changé il y a exactement 51 ans, en 1953, c’est le concept de vie.

En 1953 on a découvert le fonctionnement d’une molécule qu’on appelle l’ADN et cette molécule explique tout ce qui se passe chez les êtres vivants. Les collégiens savent maintenant tout çà par cœur. Cette molécule est capable de se reproduire. Ainsi en ayant découvert comment fonctionnait cette ADN, on a supprimé le mystère du mot vie. En effet quelle est la différence entre le vivant et l’inanimé ? Au fond il n’y en a pas et quand on regardait le dictionnaire on s’apercevait que la définition de la vie n’est tout simplement pas donnée. La vie dit Le Robert est le propre des êtres qui sont nés et qui ne sont pas morts. Ah d’accord… si on n’est pas mort c’est qu’on est vivant.
(Rires).

C’est tout ce que dit le dictionnaire. Car en fait le mot vie a été complètement transformé. Etre en vie c’est posséder de l’ADN et le faire fonctionner. Et du coup on n’a plus besoin de parler du mystère de la vie.

Du coup aussi, on vient de réunifier en totalité l’univers ; il n’y a plus d’inanimé et de vivant. La frontière a disparu, il n’y a qu’une gestion à la fois grandiose parce qu’unitaire mais angoissante parce qu’elle nous concerne, d’un monde qui est finalement le même depuis 15 millions d’années, sauf que progressivement il s’est complexifié et çà va être çà qui est intéressant.

Mais on retrouve d’ailleurs une idée de Saint François d’Assise. François d’Assise qui disait non seulement « mes frères les oiseaux, mais ma sœur la goutte d’eau » la goutte d’eau est ma sœur. J’ai des ancêtres communs avec la goutte d’eau.
Car pour fabriquer un être vivant comme moi il a fallu fabriquer de l’ADN, et l’ADN est une molécule pas plus compliquée que l’H²O et par conséquent il y a une vision unifiée.

Du coup, et j’aimerai insister là-dessus, nous avons à réinventer des arguments qui nous permettront d’être orgueilleux, d’être humains, car si je ne suis qu’un caillou, si je suis comme le dit H. Reeves, une poussière d’étoile, il n’y a pas de quoi être bien fier. Je ne suis qu’un caillou, je suis un morceau fabriqué par l’univers. Et il faut donc refonder, l’orgueil légitime d’être un être humain. On le peut par un cheminement qui met en place un concept essentiel qui est le concept de complexité.

Il se trouve que l’univers qui venait d’être créé il y a 4 millions d’années, cet univers étant homogène, il était sans intérêt, il était de la purée sans grumeaux, mais il était mu par des forces qui peu à peu on fait apparaître des grumeaux dans la purée et ces grumeaux ont été de plus en plus riches d’éléments, de plus en plus nombreux, de plus en plus divers ayant des réactions subtiles, les unes avec les autres. Et nous voici devant le concept central, nous appartenons à un univers qui est mu par des forces qui le font se complexifier. Il est l’objet non pas « d’un élan vital » comme le disait Bergson mais d’un élan complexificateur comme le disent maintenant la plupart des biologistes.
Du coup depuis 15 millions d’années sont apparus des objets de plus en plus riches, de plus en plus complexes et ayant de plus en plus de performances. Un exemple bien connu c’est celui qui se passe dans les étoiles. Dans les étoiles, il y a de l’hélium. L’hélium c’est deux protons et deux neutrons de chaque atome.

L’hélium a une chimie très pauvre mais de temps en temps dans les étoiles trois héliums se rencontrent ça fait 6 protons et 6 neutrons. Ça forme un atome de carbone et la chimie du carbone est très riche et voilà quelque chose qui peut paraître dérisoire mais qui est très important. Vous mettez ensemble des êtres autistes comme l’hélium et vous avez un être bavard comme le carbone. Autrement dit, l’apparition de la complexité peut s’accompagner de l’apparition de performances. Et on va pouvoir raconter l’histoire de l’univers depuis la purée initiale non complexe mais soumise à une complexification qui va lentement, et il se trouve que sur la terre ça a été accéléré car on a de l’eau, l’atmosphère autour etc.…. Et par conséquent grâce à quelques coïncidences le mouvement vers la complexité s’est accéléré un jour est arrivée l’ADN, un jour a permis à des êtres de se constituer.

Des métabolismes se sont mis en place. Un jour on a inventé non plus la reproduction mais la procréation, on a mis la combinatoire dans notre jeu et puis il n’y a pas très longtemps il y a quelques millions d’années, sont apparus les primates, il y a 3 ou 4 millions d’années est apparu un primate raté, nous. (Rires).

Alors pourquoi est-ce qu’on est ratés ? Parce qu’on ne peut pas vivre dans les branches comme font les primates, et puis surtout, il n’y a pas longtemps, il y a moins de 2 millions d’années, 1,5 millions à peu près nous avons été victimes de mutations qui nous ont fait nous tromper dans le calcul de notre « inaudible ».

Là où un fœtus de chimpanzé met en place 7 ou 8 milliards de neurones et il peut le mettre facilement, nous on met en place 100 milliards de neurones, et quand le fœtus humain veut sortir il tombe devant ce ratage affreux, des femelles humaines qui ont un bassin beaucoup trop étroit. Je ne peux pas passer, alors elles ont inventé un truc, de faire naître ce pauvre petit bébé dont le cerveau n’est pas fini, et même de le faire naître avant qu’il soit à terme. Du coup on donne naissance à des larves dont personne ne voudrait mais ça « inaudible » (Rires).

Et puis il se trouve qu’après la naissance ce petit bébé se met à profiter du « inaudible » Il peut grandir. Son cerveau peut grossir, il le multiplie par 3 en volume et je ne sais combien en quantité, les neurones sont là, il met en place les connexions. Et voilà le point essentiel, 100 milliards de neurones à la naissance, presque pas de connexions et arrivé à la puberté, 10.000 connexions par neurones. Là ça vaut la peine de faire un peu d’arithmétique, vous multipliez 10.000 par 100 milliards ça fait un million de milliards.

Et pour se rendre compte de ce que cela représente 1 million de milliards de connexions là dedans et la meilleure façon que j’ai trouvée quand je parle à des petits enfants, à des collégiens, voilà votre petite camarade elle a quel âge ? 15 ans ! C’est 400 millions de secondes en 400 millions de secondes. Elle a mis en place un million de milliards de connexions, ça en fait combien par seconde ?
(Rires)… Ça fait 2 millions et demi. Voilà votre petite camarade depuis qu’elle est née à chaque seconde elle a mis 2 millions et demi de connexions. Du coup on est admiratif, oui je peux dire que mon cerveau c’est l’objet le plus complexe créé par l’univers en tout cas localement.

Et bien alors, je suis tout fier d’être le champion de la complexité cérébrale. A quoi ça me sert ? Ca me sert à être intelligent, c’est très bien mais, le plus beau est à venir. Si je m’arrêtais là ça ne vaudrait pas le coup, je serai intelligent, je poserai des questions, je trouverai des réponses, mais j’ai inventé beaucoup mieux depuis quelques centaines de milliers d’années. J’ai profité de mon intelligence pour inventer des moyens de communication.

Les animaux communiquent les uns aux autres mais se transmettent essentiellement des info, moi aussi je peux vous transmettre des infos savoir l’heure du train… ça peut être utile, mais je suis capable de communiquer infiniment plus que des informations, je peux communiquer des sentiments, des projets, des angoisses, des espoirs, je peux mettre en commun avec vous des quantités de choses, et là il faut revenir à la notion de complexité.

La complexité d’une structure est le nombre et la diversité des éléments et la subtilité des rapports entre eux.

Maintenant je prends comme structure la collectivité humaine, et elle est lourde, 6 milliards d’individus. Ils sont différents, il n’y a qu’à les regarder. Sont-ils en état d’interactions subtiles, ça dépend d’eux. Ils peuvent se regarder en chien de faïence, ils peuvent avoir envie de se détruire, ils peuvent avoir envie d’être compétitifs les uns contre les autres, et à ce moment là, il n’y a aucune subtilité dans leurs rapports et l’ensemble des hommes n’est pas plus complexe que chaque individu. Mais ils peuvent aussi se regarder dans les yeux, ils peuvent aussi sourire, ils peuvent se rencontrer et à ce moment là, la collectivité humaine est plus riche plus complexe que chaque élément de cette collectivité et par conséquent, quand je disais tout à l’heure, grâce à ce cerveau je suis le champion de la complexité, je me trompais il y a mieux que moi, c’est l’ensemble des hommes et par conséquent, le vrai champion des performances ce n’est pas vous, ce n’est pas moi, c’est nous.

NOUS dans la mesure où nous sommes capables de rencontrer et vous voyiez après un long détour, je retombe vraiment dans ce qui a été dit à propos du 4ème atelier. L’important est de tirer la conséquence de ce que la nature non pas nous donne, mais nous permet. La nature me donne un cerveau, merci la nature, des neurones etc.… Je fais ce que je peux avec, mais ce que je fais de mieux c’est de rencontrer les autres.

En rencontrant les autres, je suis capable de devenir plus que moi-même, et du coup quand on donne une définition de l’homme il faut qu’elle soit double. Qu’est-ce que je suis, je suis bien sûr cet objet que vous voyez qui pèse tant, qui a telle couleur, c’est ce que la nature a donné. Mais je suis surtout celui qui est devenu lui-même à la suite d’une métamorphose faite par qui, faite par les autres.

Autrement dit, ce qui est plus riche en moi c’est ce que j’ai rencontré chez les autres. Et c’est pourquoi on peut là encore citer une phrase dite par un poète Arthur Rimbaud « Je est un autre » moi, je suis un autre que moi.

Traduisons, je suis les liens que je tisse avec les autres et par conséquent le problème à résoudre pour les 9 milliards d’hommes qui vont être bientôt là, c’est de leur préparer les terres où l’on saura se rencontrer. Et à partir du moment où l’on a dit ça, je crois que tout le reste va s’en déduire.

Si on veut se rencontrer il ne fait pas voir envie de détruire l’autre, l’autre n’est pas comme moi, il pose problème, bien sûr. Ah les autres, vous savez combien ils sont terribles, ils sont affreux, ils sont pas comme moi et bien il faut que je me dise « oui ils me posent problème, mais c’est grâce à ces problèmes qu’il va m’enrichir ». Je vais devenir plus que moi-même grâce à l’autre.

Par conséquent il nous faut bâtir une société où l’on sera capable de dire merci à tous les autres, dans tous les cas. Ce n’est pas simple.

Ça commence très probablement par tel quartier de Mérignac, par tel ensemble à Bordeaux, par tel ensemble dans la France, dans l’Europe, dans la méditerranée, dans la terre toute entière. Nous avons la terre en charge bien sûr ça commence par Mérignac mais il ne faut pas oublier, cette vision grandiose que nous donne aujourd’hui la science. Je ne suis pas rien, je suis une merveille. Je le dis aux enfants tu es une merveille. Tu n’es pas plus merveilleux que ton voisin, ce serait de la vanité. Mais tu es merveilleux dans l’absolu, parce que des comme toi il n’y en a pas deux, c’est toujours vrai. Ainsi on peut imaginer une société où l’on soit obsédé par l’art de la rencontre.

Je termine par une proposition précise, parce que j’ai un membre du parlement près de moi, faire une proposition de loi qui consisterait à écrire sur tous les établissements scolaires « Ici on enseigne l’art de la rencontre » car au fond l’école, l’université, ça ne sert qu’à ça. La finalité c’est la rencontre.

Bien sûr il faut apprendre les mathématiques, bien sûr il faut apprendre à lire et à écrire, mais à quoi ça sert d’apprendre à lire ? Ce n’est pas pour avoir une bonne note en lecture, c’est pour être capable de rencontrer ceux qui ont écrit autrefois mais qui me parlent encore. Par conséquent on fait des rencontres. Ah les mathématiques, c’est bien difficile. Pourquoi apprendre les mathématiques ? Si vous les apprenez pour avoir une bonne note en maths vous avez tort, vous perdez votre temps.

Apprenez les mathématiques parce que les mathématiques c’est un des plus beaux sujets de conversation que l’on puisse imaginer. Alors c’est ça que je veux dire justifier l’effort par le plaisir de la rencontre.
(Applaudissements). Suivis d’une standing ovation.

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